Emancipation

Bretagne, 2015

Si la photographie est écriture de lumière alors ne doit-elle pas être sous-tendue par une grammaire et une syntaxe ?
Dans cette optique, mes images seraient comme des mots qui composent des phrases, des paragraphes, des chapitres. Par conséquent, le mot en lui-même, la beauté de sa forme ne m’intéresse qu’accessoirement. Et pourtant, j’aime plus que tout la beauté quand elle se révèle dans la nature, dans le sourire d’un enfant, dans le visage lumineux de certains êtres humains, mais la beauté d’un cliché me paraît trop souvent suspecte. Le côté trop bien fait, trop léché d’une photographie lui fait manquer trop souvent sa fonction révélante. Si la photographie devient redondance, répétition d’une codification du beau (le beau en art est souvent plus près des conventions que d’une transcendance hors-norme et libératrice), donc répétition du même par le même alors elle fait obstacle à l’horizon d’émancipation qu’elle contient : émancipation du regard, de la puissance d’être, émancipation du sujet dans son combat à sortir des automatismes de pensée aliénants. Pour paraphraser Alain, je dirai que la photographie (en tant qu’art) ne relève pas de la catégorie de l’utile (et du beau utilitaire) et que pour juger de sa valeur, on doit donc se demander non à quoi elle peut servir (comme fabriquer du beau en ‘conserve’, du beau normalisant, du beau complaisant, du beau pour faire du beau…) mais de quel mécanisme de pensée elle nous délivre. Exigence et beauté de l’art et de la photographie lorsqu’ils s’arrachent aux conventions pour se dépasser dans l’impensé, l’impensable et par là, faire passage à ce qui est plus grand que soi (donc désindividualisant), faire passage à un essentiel insaisissable dans les catégories préfabriquées du beau. Cette recherche si exigeante soit-elle pousse mon regard à voir plus loin que les apparences et à ne jamais me contenter d’une belle image qui se suffirait à elle-même et raterait par là sa vocation illuminative. Voilà pourquoi le mot en lui-même, la beauté fabriquée et factice de l’image ne m’intéressent pas.
Mes images sont comme des mots qui composent des phrases, des chapitres, des entre-lignes, parfois des pages blanches (juste pour laisser la place au vide et au souffle). Je compose des phrases qui s’écrivent avec des mots-images. Et si certaines phrases restent incomplètes durant des mois, des années, espérant une complétude à venir, si fugitive soit-elle, elles laissent un espace ouvert qui, en soi, est déjà une forme d’hommage à l’ineffable, au pouls du monde dont il serait sacrilège de vouloir arrêter, pour le seul plaisir narcissique de faire une belle image, une belle phrase… pour dire quoi au juste, si ce n’est toujours la recherche d’une beauté prévisible et orgueilleuse.
Si la photographie est langage, donc porteuse de sens, son contenu sémantique est pluriel : mille signes, mille rapports entre signes, mille agencements la composent d’autant plus que les images tissent entre elles des réseaux indénombrables de résonances. Cette polysémie fait donc échouer toute lecture linéaire, définitive comme si le sujet (le photographe) était voué à un déchiffrement sans fin de qui parle. La photographie est pour moi, un média, un médium où le ‘je’ que je suis peut jouer sa fonction d’instance révélatrice, de porte-voix d’un hôte mystérieux ou d’un multiple qui couve dans l’ombre à peine éclose des possibles

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