Paysage intérieur

Bretagne, 2015

Décidément la beauté du cliché n’est vraiment pas ce qui préside à mes choix photographiques. La fixité du point de vue, appuyée et redoublée par une construction rigoureuse érigée selon des règles de composition convenues me semble être à l’antipode de ce qui me pousse à photographier. Mais il faut bien un cadre, me direz-vous, une règle de représentation pour que la photo existe. En ce sens, oui, il y a nécessité de faire tenir une vision, un regard dans un espace normé et technologique puisque l’appareil ‘impose’ sa loi : cadrage rectangulaire dans un certain rapport, vitesse dans une plage de valeurs largement tributaire du choix des constructeurs, profondeur de champ étroitement liée à la focale et aux lois optiques, etc. 

Sans les lois de la pesanteur, aucun oiseau ne pourrait prendre son envol. Il en est de même de l’écriture photographique. Mais rien n’oblige cependant à devoir normaliser son regard dans une adaptabilité passive aux injonctions du technologique et de l’esthétisme ambiant. 

Le regard du photographe ne doit-il pas suivre les lignes intimes de son paysage intérieur qu’ordonne une nécessité toute intérieure et singulière ? Ne doit-il pas oser plonger et puiser sa force dans l’informel, le non-représentable, la vacuité du sans forme ? Drôle d’équation ! La forme, l’image se forgent dans le chaudron du sans forme, de l’impensable, de l’impensé, là où de nuit, comme dirait le mystique Saint-Jean-de-la-Croix, toute vivance, toute lumière adviennent dans l’obscurité : 
« Pendant cette heureuse nuit, je suis sortie en ce lieu secret, où personne ne me voyait, et où je ne voyais rien, sans autre guide et sans autre lumière que celle qui luisait dans mon coeur »