Vannes, décembre 2022

La photographie naît dans le creuset obscur de l’appareil photo qu’on appelle ‘chambre noire’, terme très évocateur. L’obscurité de la chambre noire est donc la stricte condition pour qu’une photographie (« écriture de lumière », selon l’étymologie) puisse exister et sortir de la nuit. Sans obscurité, point de photo, sans lumière non plus, il en va de soi.
Si l’on remonte la chaîne des causalités jusqu’à son origine (si origine il y a), quelle est la cause première permettant l’existence d’une photographie : l’ombre ou la lumière ? On touche là un mystère cosmologique ! L’univers préexistait-il avant que la lumière ne fût ? Comment naquit la lumière ? Plus on s’approche des causes ultimes, plus le mystère s’épaissit. Sans doute est-ce pour cela que la photographie me fascine tant et me renvoie dans l’après-coup de la prise de vue à des questionnements métaphysiques ! Comme celui-ci par exemple :
La transcendance, l’au-delà de tout (dans le sens que lui donne Grégoire de Naziance, théologien du IVe siècle), est-elle une réalité ou une illusion de la raison et de l’entendement ? N’est-ce pas dans la nature de l’homme de projeter ce qui lui échappe (le Réel, ou dit autrement Dieu), ce qui lui paraît inatteignable d’une manière ou d’une autre, dans un soi-disant au-delà ?
Et si l’inatteignable n’était qu’une illusion, qu’une apparence grossière, une banale erreur de perspective ? Ainsi n’en va-t-il pas de même de l’Imparaître ? Cet entre-deux dynamique et indécis de l’apparition, à mi-chemin du visible et de l’invisible, des sens et de la raison ? Si illusion et concept bancal il y a, l’Imparaître ne pourrait-il pas alors signifier que toute imperfection, toute inadéquation apparente entre le fond et la forme, entre l’essence et sa manifestation sensible, n’est au fond qu’accomplissement en acte d’un réel qui dans l’instant où il s’accomplit ne peut être que parfait, c’est-à-dire parfaitement nécessaire, car il ne peut pas en être autrement ? Toute erreur de jugement, de perception n’est-elle pas que la conséquence de se croire séparé du grand Tout, de l’infinité des processus du vivant qui à chaque instant œuvrent dans l’infiniment petit comme dans l’infiniment grand ? De se croire quelqu’un, de se croire un centre, alors que nous ne sommes qu’instantanéités transitoires ?
Alors si perfection il y a dans tout devenir, dans tout phénomène d’apparition, l’Imparaître n’est rien, il ne serait que simple illusion, un artefact des sens et de la raison. Est-ce à dire pour autant que l’Imparaître serait, dans sa nature, imparfait et contingent, vide de sens ? Cette question ne peut trouver de réponse que dans l’acte de création ou d’élaboration d’une pensée qui cherche son chemin dans l’épaisseur mystérieuse du Réel.