Les explications fatiguent la vérité

Vannes, le 30 novembre 2025

Un ami versé dans la psychanalyse et ancien prof de surcroît a cru bon de devoir m’expliquer quelle était la source ou l’arrière-plan d’un de me textes où je faisais ce constat : « La pleine lumière est insoutenable pour l’œil, nul regard ne peut s’aventurer au-delà de l’insoutenable clarté sous peine d’en revenir aveuglé ». Ainsi me dit-il : « C’est la malheureuse aventure de Sémélé qui a demandé à son amant, Zeus, de pouvoir le contempler dans toute sa puissance et sa réalité. Elle fut foudroyée. Et son fils, Dionysos, ne survécut que parce que Zeus l’enferma dans sa cuisse. C’est le Dieu ‘deux fois né’. C’est le Dieu du théâtre en Grèce et celui de la créativité dans l’ivresse et l’excès. Etre aveuglé par le soleil-Zeus, symbole d’une conscience absolue, peut faire naître ‘ce qui dépasse parfois la possibilité de voir’ dans une affirmation, un oui à l’absolu de la vie associé à la création artistique. »

La pleine lumière

Vous pouvez imaginer mon embarras, car ma pratique artistique et de recherche est une immersion dans l’« Imparaître », où je me tiens éloigné des théories et des explications toutes faites. Je cherche à manifester, par l’image, le geste et l’écriture, les perceptions subtiles et la mystérieuse profondeur qui m’habitent. Mon embarras est total lorsque cette démarche est confrontée au réductionnisme professoral : ce besoin de plaquer une « explicative définitive » avec un sentencieux « Voilà pourquoi vous pensez ainsi ».

Cher ami psychanalyste, j’avais oublié la funeste histoire de Sémélé. Ceci dit, je m’interroge sur ce que peut apporter votre explicative ou justification de mon travail par la mythologie ou tout autre plan de référence (psychanalyse, sociologie…). Georges Braque avait cette formule claquante comme un éclair (ou un kōan zen) dans le pur ciel du vaste réel : « Les explications fatiguent la vérité ». D’où ma perplexité : le savoir explicatif, aussi intéressant en lui-même qu’il puisse être, est-il au service d’une œuvre, de sa vérité ou au service de lui-même ou de celui qui l’énonce (fascination totalisante du savoir qui s’auto-entretient ou s’auto-confirme) ?
Je reste convaincu que la vie vivante, la vie de l’esprit ne s’élabore pas sur un arrière-plan mythologique. Certes, il y a eu l’entreprise freudienne comme tentative de fonder sur les grands mythes le fonctionnement de l’inconscient, mais Freud avait besoin, faute d’explicatives physiques, de donner une assise à sa théorie psychanalytique. La tentative freudienne appartient à Freud, elle n’est en rien un postulat universel faisant autorité. Mettre la mythologie comme source explicative de la vie de l’esprit, n’est-ce pas inverser l’ordre des causalités ? La mythologie comme l’art sont œuvres de l’esprit et s’originent dans un arrière-plan qui n’est autre que la Nature dont les forces visibles et invisibles, les lois connues et inconnues n’ont pas fini d’interroger l’esprit humain en quête de vérité. La tentation est toujours grande d’ériger en absolu des constructions intellectuelles qui ne sont que des médiations temporaires entre le Réel (inconnaissable) et la réalité (le Réel réduit à nos conceptions).
Il m’est bien plus bénéfique, fructifiant de comprendre la mythologie comme l’expression symbolique et divinisée des forces invisibles de la Nature. Certes, les divinités ont été détrônées par l’apport des sciences modernes, mais les forces obscures demeurent et l’art (le petit comme le grand), comme la dynamique et le mystère du vivant, n’en sont-ils pas l’expression la plus majestueuse, éblouissante. Je porte en moi la nostalgie d’une source d’eau pure, régénérante. Quand reviendront-ils « ces beaux jours où la science remontait à sa source » ? (pour reprendre la belle formule de Joseph de Maistre). Quand se dissipera le voile du savoir qui recouvre nos yeux et quand de malvoyants que nous étions redeviendrons-nous des voyants ?
Cher ami, apprenez donc à découvrir le monde, non pas au travers de vos certitudes ou de votre savoir académique, mais en tentant de vous laisser toucher par ce que vous échappe.
En ce qui me concerne, la photographie m’aide à recouvrer la vue, et dans ce que je vois et sens du vaste réel, nulle trace de discours, de théorie, de mythologie, juste la simple présence des choses auréolée de mystère. Cela me suffit…


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